Les dessous du Gangsta Rap

Le 16 février au Rocher de Palmer s’est tenu un débat auquel Hip Open se devait d’assister. En prémisse du concert de Sefyu, présent lui-même en tant qu’intervenant, aux côtés des membres de la revue « Volume ! », venus retracer les grands traits de leur dernière publication « Sex sells, Blackness too ? ». Une approche sociologique du rap mainstream.

Volume ! est une publication ayant vu le jour en 2002. L’idée était d’observer avec un œil très universitaire et scientifique la musique dans toutes ses composantes, en utilisant méticuleusement les sciences sociales. L’édition 8-2 présentée s’attarde ici sur la matérialisation du corps de la femme noire dans le Hip Hop mainstream, plus communément appelé « bling bling », et revient sur les évolutions post-coloniales de la « race » noire, s’interrogeant foncièrement sur la représentation et le sens même du mot « race ».

Du racisme, mais pas de « race » ?

Pour Franck Freitas chercheur à l’Université Paris 8, le terme « race » n’a pas de dimension scientifique. Et même les dimensions culturelles et ethniques capables de l’expliquer ne sont pas assez fortes. Ces termes figent les communautés et ne prennent pas en compte les évolutions. Donc selon lui, si la « race » existe, cela n’est qu’à travers le racisme, qui est une mise en évidence de discriminations, un terme fort pour mettre en exergue différentes formes d’oppressions. Le rap ne serait donc qu’un moyen d’expression de ces oppressions. Une manière inconsciente de rappeler cette évolution. La « race » phénomène sociologique donc, et non pas biologique.

Le rap, « cette forme de poésie, ou du moins cet effort artistiqueet ses 20 ans d’expérience », est pourtant considéré par les médias et les sciences sociales de façon négative. Il relève même parfois du scandale. L’université l’a longtemps rejeté, et de nombreuses personnalités, qualifient ses acteurs « d’analphabètes », « d’ignorants », mettant en avant le caractère misogyne de certains clips vidéo ou de paroles dégradantes. « Et si l’on souligne souvent ce caractère sexiste, il est aussi question de race et de mises en avant de clichés, la plupart du temps en fonction du contexte politique », rappelle Franck Freitas. Il affirme même par la suite que ce processus de matérialisation du corps de la femme noire, belle, sensuelle, est comme un symbole pour détourner les anciens clichés esclavagistes.

Un Hip Hop calibré

Karima Ramdani, également chercheuse à l’Université Paris 8 prend à son tour la parole pour réaffirmer la démarche commerciale et marchande à laquelle sont confrontés les artistes de la scène Hip Hop mainstream. Elle évoque, par exemple, les plus grandes facilités dont bénéficiera une artiste magrébine pour vendre de la musique R&B. Et revient également sur le fait que l’on tolère plus facilement ceux qui nous ressemblent. D’où la meilleure intégration des communautés portugaises et hispaniques en France, par rapport aux communautés noires ou arabes.

Elle ressasse les rouages de l’industrie marketing dans laquelle sont enclavés ces artistes. « Le Hip Hop est un divertissement qui pour exister se doit d’être économiquement rentable et donc répondre à une demande ». En l’occurrence une quête d’émancipation qui elle est « interraciale ». D’où sa capacité à capter l’attention d’un public « multiracial ». Par exemple, le jeune blanc de classe moyenne, également en recherche d’affirmation, n’a pas de mal à s’identifier au message. « Un message calibré, répondant à une sorte de cahier des charges mis en place pour vendre massivement », ajoute Franck Freitas.

Sefyu, exemple d’intégrité

Sefyu s’est révélé être un personnage de choix pour clore ce débat. Conscient de faire de la musique contestataire, il est ce rappeur engagé ayant à la base plutôt privilégié de mettre en avant le contenu au dépend du contenant. Autrement dit en cachant son visage pour concentrer les critiques sur sa musique. Et le buzz fut conséquent.  Pris dans la tempête médiatique, il dut se résoudre à satisfaire la curiosité d’un large public pour ne pas ternir sa légitimité et vaincre les stéréotypes et les polémiques.

Enfin, il a expliqué qu’en France, à la différence des Etats-Unis, le Hip Hop trainait un déficit d’image de part sa diversité : « un contexte différent ayant vu les noirs américains se fédérer derrière un passé commun d’esclaves, tandis qu’en France les minorités venaient de trop d’endroits différents et dans des contextes diversifiés ». Arguant avec espoir que repousser le racisme passerait peut être par la solidarisation de ces minorités pour se construire une histoire commune. Une idée comme un rêve, si proche mais si difficile d’accès.

Une étude universitaire qui paraît intéressante. Ces chercheurs ont le mérite de s’intéresser au rap. Mais au rap commercial, ce qui est réducteur. Pourquoi n’analyser que les clichés du rap alors que ce genre de musique propose bien davantage de qualités ? Ne serait-il pas mieux de s’attarder sur l’autre facette du rap, au rap authentique ?

Ludovic Lacroix