Fleyo

« J’ai dû dompter le passé pour comprendre l’avenir. »

FLEYO

Entretien avec Dee Nasty

Dee Nasty // Hip Open
Quelques heures avant la soirée « Smells Like Hip Hop » à Bordeaux, nous avons eu l’honneur de rencontrer et d’échanger avec une légende vivante du Hip Hop, un « monument » de notre culture… Le Grand Master Dee Nasty ! 

Lire la Suite...

ÉKOUÉ (La Rumeur)

Ekoué, présent lors de la projection de De l’encre, dans le cadre du festival Hip Hop Addict, organisé par la Casa Musicale à Perpignan, explique ses choix à la fin du film, avant de nous accorder une interview…

« Ce film est un hommage au rap féminin. Nejma n’est pas une actrice mais une rappeuse. De toute façon, on retrouve un peu de vécu dans chacun des personnages. (…) Ce film, c’est aussi la rencontre entre le milieu amateur et professionnel. »

De l’encre en chiffres…

2 auteurs, réalisateurs : Hamé et Ekoué (La Rumeur), 1 an d’écriture, 18 jours de réalisation, 1 grosse pression… C’est aussi 2 récompenses, le prix du « meilleur long métrage francophone » et le « prix du public », décernées dans le cadre du Festival International du Film de Genève. 18, pour l’arrondissement de Paris, dans lequel le film a été tourné, notamment Porte de la chapelle, qu’Ekoué qualifie « du lieu de la naissance du Hip Hop à Paris ». Un film vu par 1 million de personnes et racheté par TV5 Monde.

« On ne fait pas du rap conscient mais plutôt du rap authentique ».

La Rumeur revendique le côté puriste et originel du Hip Hop, fortement lié au milieu underground du rap. Hamé et Ekoué expriment haut et fort leurs visions sur l’industrie de la musique, sur la politique, etc. Ils sont cash, et n’hésitent pas à dénoncer des pratiques et leurs auteurs, notamment Abd Al Malik ou encore Laurent Bouneau (directeur des programmes de la radio Skyrock), auquel ils reprochent  « de mettre le rap sur le trottoir », et s’exaspèrent de voir Pierre Bellanger, à la tête de Skyrock : « Ce mec a quand même été mêlé à des histoires de pédophilie ! Je vous invite fortement à vous renseigner sur cette affaire… ».

Hip Open l’a fait…

Entretien avec Ekoué

H.O : Pourquoi le passage du rap au  cinéma ?

Ekoué : Le cinéma, c’est le frère jumeau de la musique… Généralement quand tu produis un disque tu l’accompagnes de clips, donc d’images. Mais il est évident que pour le parcours de La Rumeur, pour que l’on nous prenne au sérieux, pouvoir investir ce terrain avec soin est important. Cela permet d’élargir notre champ artistique et de s’essayer à d’autres univers. C’est complémentaire… L’approche est différente mais le fond et la nature de nos propos restent inchangés quelque soit le support. On a écrit le film comme on conçoit un album, c’est-à-dire avec une cohérence, en s’inspirant d’une réalité que l’on peut décrire. Tout rappelle notre quotidien, que ce soit au niveau du grain, des couleurs, de la chaleur… Le côté proximité, par les plans serrés, montre cette approche en phase avec la vie, avec le quotidien. Après, un film appelle à plus de compétences mais au niveau de la conception, c’est tenir une histoire et raconter quelque chose, produire un discours. C’est aussi faire partager une tranche de vie en 1h30, et c’est ce que l’on s’efforce à faire sur un album.

Dans le rap de Nejma, on retrouve également la touche « La Rumeur », c’est pour le film ou c’est propre à elle ?

Pour la cohérence des dialogues, nous avons écrit ses textes, bien qu’elle soit une rappeuse confirmée (ndlr : plus connu sous le nom de La Gale).


Pourquoi avoir choisi ce thème ? Et comment perçois-tu le ghostwriting dans le rap ?

Le thème est venu spontanément. Pour un premier film, nous souhaitions rendre hommage au milieu qui nous a vu naître, en l’occurrence le milieu hip hop et le 18ème.  En ce qui concerne le ghostwriting, eh bien… L’essence du rap, c’est d’écrire ce que tu veux, mais de parler de ce que tu connais ! Mais le ghostwriting est une pratique qui existe. Heureusement, elle n’est pas très répandue en France, contrairement aux Etats-Unis où elle est beaucoup plus acceptée. Les rappeurs se refilent les textes entre eux et ce n’est pas du tout un tabou. Mais quelqu’un qui est issu de l’underground, qui est face à une réalité qu’il a envie de raconter, je pense que son premier réflexe c’est de parler seul et en son nom, et pas forcément d’être dans l’interprétariat.

Venons-en à la relax après ce procès de 8 ans, suite à la plainte du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy… Que penses-tu de tout ça maintenant ?

Cette plainte fait référence à un texte qui dénonce les bavures policières. Il faut savoir que nous sommes allés jusqu’en cassation, ce qui est extrêmement rare pour ce genre d’affaires. Nous avons dû payer 70 000 € de frais de procès… Actuellement, nous préparons un nouveau documentaire qui retrace les longues années du procès de La Rumeur face à Sarkozy. De nombreuses interviews ont été réalisées pour apporter des réponses sur l’affaire… La Rumeur doit faire face à du lobbying, des coups de pression mais le Hip Hop c’est prendre des risques donc je ne fermerai pas ma gueule pour autant. D’autres groupes se font attaquer en justice, se font censurer, c’est un phénomène qui se produit de plus en plus… C’est comme ce qui est arrivé au petit groupe de jeunes, la Sexion d’Assaut, je trouve ça assez scandaleux la façon dont les médias se sont déchaînés sur eux et les ont empêchés de faire leur musique. Le rap, c’est comme dans la vie, des fois tu dis des choses pertinentes, des fois tu peux dire des conneries mais ça ne justifie pas le fait de les mettre à poil sur la place publique et de les déglinguer à coup d’associations et tout… J’ai trouvé, le procès qui leur était intenté, disproportionné, dégueulasse et ça m’a bien énervé, c’est complètement scandaleux !

Tu disais tout à l’heure que les ateliers d’écriture sont ta plus grande fierté donc quels conseils donnes-tu aux jeunes qui se lancent dans le rap ?

Moi, les conseils que je peux leur apporter… S’ils sont à l’école, c’est d’y rester parce que contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, je pense que la réussite elle est dans les deux : la démonstration d’une pratique artistique cohérente et l’acquisition d’un savoir institutionnel. Au bout d’un moment, quand tu es confronté à une réalité où l’argent t’arrive d’un coup, tu auras toujours besoin, soit d’une issue de secours, soit des réflexes pour anticiper et mieux transformer tes options. Donc c’est vraiment le seul conseil que j’ai à leur donner. Après ceux qui ont un travail ou qui font autre chose, c’est bien mais faire du rap de façon stricte et unique sans aucun bagage derrière, c’est suicidaire. 100% des rappeurs que je connais, qui ont connu le succès et qui ont fait ce choix là, aujourd’hui, ils n’existent plus et sont dans des situations de très grosse précarité. Prenez votre temps pour faire le taf !

Depuis l’époque du Poison d’avril, il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées… Est-ce tu aurais pensé écrire et réaliser un film ?

On a formé La Rumeur en 1996 et avec Hamé, on s’est toujours dit que l’objectif serait de faire un film. On savait que ça allait être long, en tout cas, nous voulions déjà mettre un pied dans ce métier. De toute façon,  La Rumeur, c’est une démarche qui s’inscrit dans le temps, c’est un crescendo, ça vient petit à petit… J’aurais voulu avoir des exemples de la Old School… Je suis bien content de voir ce qui arrive à Joey Starr, parce qu’il cartonne dans le cinéma.  A part NTM, franchement les autres de ma génération… Tu vois des mecs comme I AM par exemple, ils ne m’intéressent pas, je ne les regarde pas comme des grands frères… Je veux que les jeunes qui arrivent soient conscients de la réalité. Qu’ils puissent se dire que La Rumeur a réussi à produire un nouveau modèle économique. Parce que la réalité c’est ça, pour sortir du ghetto, il ne suffit pas de parler,  ni de faire les militants, c’est-à-dire écrire des textes sur Malcom X ou autre… Mais plutôt démonter ta capacité à faire de l’argent et en faire beaucoup. Je ne suis pas Besancenot, bien que je sois sensible à un discours qui mette en avant les classes laborieuses et populaires mais je suis aussi dans une idéologie de survie, de combat et de réappropriation économique avant tout, en corrélation avec un discours politique, avec un discours social, avec un discours de fond. C’est dur, c’est difficile à faire parce que ce ne sont pas forcément les voies pavées de roses qui te permettent de toucher le succès… Le succès c’est la légèreté, la futilité par définition. Et quand, justement tu arrives à créer une interaction entre les deux avec du temps et à produire, c’est forcément plus solide, puis ça s’inscrit dans le long terme… Tu crées des exemples. Je suis allé aux Etats-Unis… J’ai vu que les noirs américains ont compris une chose : il faut faire naître des vocations. J’ai rencontré des hommes d’affaires, notamment un à Atlanta, un multimillionnaire qui rachetait des buildings… Tu descendais au sixième sous-sol, et là il y avait un parterre de 30 mètres de long avec plein d’ordinateurs et avec que des petits mecs du ghetto devant les écrans. Ils étaient là pour  passer les concours des plus grandes universités américaines. Il me montrait, lui, il va à Berkeley, lui, il va à Harvard… En France, on nous parle de la diversité, etc. Non, il faut créer des exemples à partir de ce que l’on est, à partir de notre histoire ! Moi je ne suis pas un mec qui gueule dans un micro… Non, il faut apporter la preuve de la réussite par le profit aussi. Malheureusement, nous sommes dans une économie de marché, nous sommes dans un système libéral, j’invite donc les jeunes à faire des études, évidemment, mais dans le but de faire de l’argent. S’ils n’en font pas en France, qu’ils aillent travailler à l’étranger, dans les pays où ils seront valorisés.

Nous sommes dans un système où il faut faire de l’argent mais est-ce vraiment la seule solution ?

Non j’dis pas que c’est la seule… Quand je vois le mec, auquel je faisais allusion, ce multimillionnaire, avec sa force économique,  ce qu’il arrive à créer à destination des gens les plus précaires, je me dis « oui » c’est à ça que doit servir l’argent ! Ce n’est pas de l’argent pour rouler en Lamborghini et pour porter des Rolex, ça j’veux dire, tu fais ce que tu veux mais moi personnellement je m’en fou. Après je ne dis pas que ce n’est pas une finalité en soi, c’est à chacun de voir… Maintenant je suis une personnalité publique, ma démarche est écoutée et j’ai besoin de créer et de faire naître des vocations et d’incarner un certain exemple de ce point de vue là… En montrant que l’on peut réussir en faisant de l’argent avec un discours cohérent.

>> Article de présentation de De l’encre par Hip Open

>> Plus d’infos surhttp://www.la-rumeur.com/

La censure dans une démocratie…réalité ou fiction ?

Inutile de préciser que le titre est ironique et qu’il prend sens avec la réflexion soulevée dans les lignes qui suivent…

Revenons sur le 15 septembre dernier… Le procès qui a opposé le chroniqueur et éditorialiste du Figaro, Eric Zemmour au rappeur Youssoupha. Plainte déposée en 2009 pour « menace de mort et injures publiques » à l’encontre du MC, au sujet des paroles du morceau « A force de le dire ».


Les paroles en question :
« A force de juger nos gueules les gens le savent / Qu’à la télé souvent les chroniqueurs diabolisent les banlieusards / Chaque fois que ça pète on dit qu’c’est nous / J’mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Eric Zemmour. »

Youssoupha, artiste incontournable du Rap français

Ses textes censés et percutants font de lui un artiste très apprécié de la scène Rap en France. Qualifié dans le milieu du Hip Hop comme « l’un des meilleurs rappeurs de l’hexagone », il se distingue par sa plume aiguisée de punchlines conscientes.

Youssoupha, un nom qui résonne dans les médias nationaux… Non pas pour la qualité de son travail artistique, pour son talent, mais pour être désigné comme « le rappeur qui veut tuer Eric Zemmour  ».

Ce n’est pas le premier à passer devant les tribunaux  et pointé du doigt par les médias pour une chanson incriminée. Au contraire la liste est longue : NTM, Sniper, Monsieur R, Hamé du groupe La Rumeur, ainsi que la polémique autour de certains rappeurs comme Orelsan, Saîdou Zep, etc.

Son titre « Menace de mort » nous le rappelle…


Flashback sur la censure

Au travers des siècles, les artistes ont été censurés. De l’Antiquité grecque, avec l’exemple de Homère, à la Renaissance contre de nombreux peintres : Michel-Ange, Botticelli, Manet, Goya, Delacroix, Modigliani…

>> Goya

Puis une autre forme de censure plus violente s’est développée : l’autodafé. De l’Inquisition au régime nazi et franquiste, une multitude de livres ont été brûlés, notamment de Freud, Marx, Rousseau, Voltaire…

Bien avant les rappeurs, les écrivains, les poètes ont vécu de forts préjudices : Baudelaire, condamné pour la publication des Fleurs du Mal pour « outrage à la morale publique et religieuse », sous le Second Empire, dirigé par Napoléon III. A cette même époque, il en est de même pour Victor Hugo, censuré et exilé.

Les artistes les plus contestés de leur époque bénéficient souvent d’une forte notoriété et reconnaissance pour leur art, plus tard, trop tard… Des génies trop avancés par rapport à leur temps ? Quoi qu’il en soit, des provocations condamnées. Et pourtant n’est-ce pas le rôle de l’art de s’exprimer, de critiquer, de déranger, de pousser à la réflexion, de faire réagir  et de prendre position ? Rare de voir la créativité se révéler dans le conformisme…

Et la liberté dans tout ça ?

Les libertés de création et d’expression sont fondamentales. Pour tout censeur, il ne faut pas confondre la fiction de l’œuvre et la réalité qui serait celle de l’artiste. Si certains rappeurs se font passer pour des gangsters dans leurs textes, ce n’est pas à prendre au pied de la lettre ! Il s’agit de la mise en scène d’un personnage, comme il est d’usage de le voir apparaître au cinéma.

Pour comprendre davantage l’univers artistique du Rap, il est essentiel de se référer à son Histoire. Le Rap est issu de la culture Afro-américaine. Les violences qui régnaient dans les ghettos sont, en partie, à l’origine de cette forme d’expression revendicatrice et contestataire. D’où l’inspiration des artistes actuels qui y fait toujours écho. Cependant, le travail de la distance poétique et de la métaphore n’est pas considéré à sa juste valeur, tout comme l’ironie reste peu comprise. Beaucoup trop de gens s’arrêtent sur ce qu’ils appellent « réalisme » ou « crudité » des paroles sans en saisir les codes et plus largement l’imaginaire de cet art.

Et vous ?

Citoyens, artistes, militants, vous sentez-vous réellement libres, aujourd’hui ? Le commentaire ou la critique ne sont-ils pas limités ? La diffusion des œuvres, la représentation des artistes ne sont-elles pas confrontées à des obstacles ? Certains milieux culturels sont-ils davantage ciblés sur le champ de la censure ? A quel titre et sur quels critères, peut-on interdire, peut-on censurer une œuvre d’art ?

A méditer ! Et attendons le verdict du procès de l’auteur et interprète Youssoupha le 26 octobre prochain.

>> Aller plus loin

Sur le net : http://www.youssoupha.com/

Dans la lecture :

La création est-elle libre ? de Agnès Tricoire

Le Rap une esthétique hors la loi de Christian Béthune