Entre rejet et humanité

La culture Hip Hop m’a appris à développer une autre vision du monde que celle imposée par le système. La culture Hip Hop m’a montré la richesse du partage, du respect et de la solidarité. La culture Hip Hop, qui a forgé ma personnalité, m’a enseigné une valeur fondamentale : le sens du mot « humanité ».

Aujourd’hui, je tiens à vous faire partager un témoignage sur ma soirée du 10 décembre 2016.

À bord d’un train à destination de Bordeaux, un jeune garçon qui venait de se réveiller vient me demander où nous étions. Je lui réponds : « Bientôt à Bordeaux ». Et me dit : « Bordeaux ? Non Lyon ! ». Je lui fais comprendre que ce n’est pas le train en direction de Lyon. Puis il s’assoie de nouveau et se rendort. Inquiète, je regarde aux alentours pour voir s’il était accompagné et ne vois personne. Aucun bagage non plus. Une fois réveillé, je lui propose de l’eau, et lui demande si quelqu’un vient le chercher et il me répond que non. Je lui demande donc s’il sait où il va dormir. Il me dit : « Non ». Ces mots ne suffisent pas à raconter cette scène, l’expression de son visage en disait beaucoup plus.

Une priorité : trouver une solution

Pas habituée à ce genre de situations, je demande conseils auprès d’une amie. Suite à cet échange et après avoir discuté avec le garçon, qui m’annonce son âge, 14 ans! Nous avions pris la décision d’aller au commissariat de police, dans l’idée qu’ils puissent mieux gérer le problème que moi. Peut-être le guider vers un foyer de mineurs… Une fois, dans le sas d’entrée, nous avons été accueillis par un bon nombre d’agents de police. Je leur explique la situation en leur disant que je viens à eux car je ne sais pas quoi faire, qu’il est mineur et que je suis peinée de le voir dormir dans la rue, dans le froid et non en sécurité. Ils commencent à le questionner, toujours dans le sas – à aucun moment ils nous ont laissé entrer. À 14 ans, étranger et sans papier, la réponse a été la suivante : « Les foyers sont plein, il n’y a plus de place libre donc on ne peut rien faire pour lui madame.» Sans parler de leurs commentaires : « C’est lui qui a voulu venir, on ne l’a pas forcé », ou encore : « Il est venu en train et j’imagine qu’il a fraudé aussi ». J’avais l’impression de ne pas être dans la même dimension… Bref, j’insistai d’une sensibilité protectrice et avec un sentiment d’injustice. Ils m’ont donné une adresse à laquelle il pourrait se présenter pour tenter d’obtenir de l’aide. Un bureau ouvert de 10h à 16h en semaine ! Nous étions un samedi soir à minuit passé. En insistant plusieurs fois, rien ne changeait. Toujours aucune sensibilité pour ce jeune homme.

"IDENTITÉ NATIONALE FAUX DÉBAT " SLY2 (14 juillet 2013)
« IDENTITÉ NATIONALE FAUX DÉBAT » SLY2 (14 juillet 2013)

Déterminée à trouver une autre solution, j’appelle le 115 (Samu Social), contente de trouver une personne compréhensive et à l’écoute mais déçue d’apprendre qu’ils ne sont pas en mesure de s’occuper des mineurs.

Paralysie administrative ?

Conseil suivant : appeler le 119 (enfants en danger). Faisant preuve de bienveillance bien qu’en incapacité de proposer une solution, on me suggère d’aller aux urgences de l’hôpital le plus proche : direction l’hôpital St André. A l’entrée, nous sommes accueillis par un agent de sécurité dans un sas. En expliquant la situation, les questions fusent et s’accompagnent de quelques jugements. Puis je parle avec la responsable de l’hôpital en insistant encore parce que maintenant je ne savais vraiment plus quoi faire. Il était plus d’une heure du matin. Elle m’explique qu’ils prennent déjà en charge des familles ou des femmes seules avec des bébés de 6 mois à 1 an. Pour le cas d’un mineur seul, il n’y avait pas de solution. En me voyant désespérée, l’agent fini par me dire : « Vous pouvez toujours essayer d’aller à l’hôpital Pellegrin, l’accueil des urgences est en entrée libre. » A court d’idées, je décide de suivre cette suggestion. Sur le chemin, j’ai expliqué au petit que cette fois-ci c’était la dernière possibilité. Sachant cela, il me demande : « La gare est-elle ouverte toute la nuit ? » Ça me rendait triste que dans le pays des droits de l’Homme, un jeune de 14 ans ne soit pris en charge par aucun service de l’Etat. Et je ne pouvais accepter l’idée de le laisser aller dormir à la gare !
En arrivant sur le parking, je vis un panneau indiquant les urgences pédiatriques, l’hôpital des enfants ! C’était notre dernier espoir…

L’ultime option

À l’accueil, je réitère la situation, d’un air – j’imagine – à la fois désespéré, inquiet et fatigué, en leur expliquant le périple et je leur dis cette fois-ci : « Je m’en remets à vous. Je m’en remets au service public. J’ai tout essayé mais là je ne sais plus du tout quoi faire. » La personne part en informer un responsable.  Puis deux dames arrivent et me posent quelques questions sur la situation, sur lui… Elles finissent par me dire qu’elles vont s’en occuper, qu’il sera pris en charge par leur équipe. Enfin, nous étions au bon endroit ! Entourés d’une équipe bienveillante, accueillante et soucieuse de son prochain. Elles m’ont remercié d’avoir agi ainsi.

Comme la vie est bien faite, au moment d’appeler un taxi pour rentrer (il était plus de 2h du matin), une dame m’a proposé de me ramener en voiture. Ainsi, je partais en souhaitant bonne chance à ce petit. Il me remercia discrètement de ce que j’avais fait pour lui.

J’avoue avoir eu du mal à dormir en rentrant chez moi. Soucieuse du devenir de tous ces jeunes migrants, dont le mot enfance est dénué de sens dans leur cas. Alors quoi faire ? Je ne sais pas. Ce que je sais c’est que tant que nous pouvons aider à notre échelle, faisons-le ! Ne fermons pas les yeux.

ubuntu_kids

Certes, cet exemple n’est pas un cas isolé, seulement, ce garçon a croisé mon chemin. A travers ces lignes, j’ose avoir l’innocence d’espérer réveiller en un grand nombre de personnes la flamme d’humanité, qui est en chacun de nous. Pour réagir et ne plus devoir s’étonner lorsque quelqu’un aide son prochain mais plutôt s’étonner et s’indigner lorsque quelqu’un ne le fait pas.

Le monde change, nous devons nous y adapter.
Résister au changement, c’est résister à la vie.

Si les rôles s’inversaient, vous qui préférez fermer les yeux, que feriez-vous le jour où la situation vous impliquerait personnellement ? Que feriez-vous s’il était question de votre propre enfant ? Que souhaiteriez-vous pour lui : entre rejet et humanité ?

NJ
Angélique Germain

2 réflexions au sujet de « Entre rejet et humanité »

  1. Vanoushka

    Bravo NJ Like. Merci pour ce jeune garçon. J espère que ce témoignage arrivant en fin d annee permettra de donner plus de bonté aux gens dans leurs nouvelles resolutions…
    Tu es un joli colibri 🙂 (voir conte du colibri)

  2. Sidy Seye a.k.a Steve Hosting

    Pardon mais le Hip Hop t’a rien appris! Je comprend pas pourquoi tu l’a pas amené chez toi tout simplement, donné à boire et à manger, lui proposer une douche et de quoi dormir au chaud pendant que tu utilise ton internet et telephone pour t’adresser à toutes ces personnes avant de l’abandonner au mains de l’hôpital publique? C’est ce que j’aurais fait, non rectification, c’est ce que j’ai toujours fait. Mes excuses pour la réprimande mais je n’accepte pas facilement ce genre de récit moralisateur. Tu as surement ouvert ton coeur mais pas ta porte, désolé!

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