Faada Freddy était en concert au Rocher de Palmer (33), le 27 janvier dernier. A l’occasion de son deuxième passage à Bordeaux, depuis la sortie de son album Gospel Journey, nous avons échangé avec lui, juste après le show. Retour sur cette rencontre…
« On a tout pour être heureux »
Bastien : Faire passer des messages, est-ce un objectif pour toi, dans ta musique ?
C’est un plaisir personnel de voir les gens heureux, car je sais combien ça fait mal de croire qu’on ne peut pas l’être, alors que c’est là… Tout est déjà là. On se projette beaucoup sur les choses qui ne sont pas encore là. Par exemple, on angoisse pour le futur, alors que le futur n’est pas encore là. Et même si demain arrive, demain s’appellera aujourd’hui. Donc le plus important c’est aujourd’hui, c’est de vivre pleinement, c’est de voir comment on peut donner le meilleur de soi, maintenant. Je pense que si l’on commence comme ça, c’est déjà un très bon début. En tout cas, c’est ce que j’essais de faire tout le temps.
NJ : Avec ce qui se passe partout dans le monde, que dirais-tu à ceux qui s’inquiètent, qui perdent espoir ?
Il ne faut avoir ni peur que Trump soit élu, ni peur qu’il y ait des systèmes, parce que des systèmes, il y en a toujours eu. Il y a toujours eu des gens en conquête de plus que ce qu’ils ont, en conquête de terres, en conquête de richesses… Cela existera toujours mais le plus important, c’est que quelque soit le système, même si nous sommes dans le système, ce n’est pas pour autant qu’il faut toujours être d’accord avec ce qu’il s’y fait.
Il faut surtout trouver sa liberté individuelle, toujours. Parce que si l’on croit que toute la liberté que nous avons c’est celle que le système nous donne, nous ne pourrons pas vivre. On a besoin de notre propre liberté et de jouir des droits que nous avons. Le système t’impose des choses, si ces choses ne te rendent pas heureux, cherche là où tu pourras trouver ton bonheur ! Si un système ne te convient pas, va ailleurs.
J’ai connu quelqu’un qui, à un moment donné, était en France et qui me disait « J’ai trop de stress, avec mon boss ça ne va pas, mais j’ai besoin de gagner de l’argent ». Je lui ai dit « va ailleurs ». Puis il est parti ailleurs et quelques temps après, je le vois avec une femme, ils étaient mariés. Je lui ai demandé ce qu’il s’est passé, il m’a dit : « ma vie a changé, j’ai compris, je vis au soleil, je viens en France pour faire des affaires et puis je repars ». Voilà, c’est un choix de vie.
La Terre, c’est la Terre des Hommes, on peut trouver le bonheur partout, partout, partout. C’est vrai que le milieu détermine l’individu mais la Terre appartient aux Hommes et il y a tellement de choses qui peuvent nous rendre heureux ici ou ailleurs. J’ai vu des gens partir avec un sac à dos et être heureux, en vivant différemment. Pourquoi on a peur de se confiner au système ? Comme s’il n’y avait rien d’autre que ce que le système nous propose. Si cela ne nous rend pas heureux, nous ne sommes pas obligés de l’accepter. Le plus important c’est de ne pas porter atteinte à la liberté des autres. Tant que l’on a la chance d’être libre et de se dégager du système, il faut y aller.
Je suis en train d’écrire une chanson qui parle de mea culpa et qui dit : « Je dois me confesser parce que j’ai toujours cru que pour être heureux, il fallait que je marche sur les autres. J’ai l’argent et le pouvoir mais aujourd’hui, les fantômes de tous ceux que j’ai piétiné me hantent, même dans ma richesse. Donc quand je me couche, je ne peux pas vraiment dormir. » (Ce ne sont pas les paroles de la chanson, seulement un résumé pour donner l’idée générale. Ndlr)
Il y a beaucoup de gens qui croient que faire du business c’est savoir marcher sur les autres… Dans une société, même s’il y a de la concurrence, nous ne sommes pas obligés de se faire du mal, de se faire des coups bas pour que l’autre n’existe plus. L’autre peut aussi avoir une famille. Même si pour certains c’est une réalité, c’est une réalité qui nous rend malheureux.
Je crois au fait que nous ne sommes qu’un seul corps et tout ce que l’on fait,
si l’un d’entre nous est touché, tous les autres le sont aussi à un degré divers.
Si quelque chose arrive en Afghanistan ou en Chine, d’une manière directe ou indirecte, nous en ressentons l’écho. Cela a un impact sur nous. J’y crois réellement. J’y crois réellement, en observant, en allumant la télé. La télé, c’est virtuel. Tu allumes la télé, tu n’étais pas là pendant le tournage d’un film ou pendant un drame qui s’est passé en Syrie et cela arrive à toucher ton cœur. Cela veut dire donc que ce qui est à l’autre bout du monde a un impact sur nous. Donc je pense que si l’on avait un peu plus de sensibilité à considérer les gens et à ne pas négliger le bonheur des autres, on se ferait vraiment plaisir. Je pense que si l’on s’attelait à donner un minimum de bonheur autour de nous, nous serions heureux. Je n’ai pas de doute là-dessus.
NJ : Le bonheur, par le bonheur, pour le bonheur…
Toujours, toujours… J’y crois. Et il y a des systèmes qui sont installés parce que parfois il faut organiser la société mais ça ne veut pas dire qu’il faille être d’accord avec ce que les différents systèmes nous imposent. Je me rappelle d’Obama qui était venu au Sénégal et il voulait que le Sénégal adopte quelques réformes qui se sont développées aux Etats-Unis. Et je me rappelle que le Président sénégalais lui avait dit : « Oui, vous avez votre manière de voir. Chez nous aussi, nous avons notre manière de voir. Nous par exemple, nous n’appliquons pas la peine de mort et c’est un choix. »
Aujourd’hui, je vois un pays comme les États-Unis qui applique la peine de mort et qui traite les autres pays, qui l’appliquent aussi, de « dictateurs ». Alors que ce sont les premiers à appliquer la peine de mort chez eux ! Donc il y a un problème.
Est-ce que pour être validé, il faut être riche pour que les systèmes existant autour de nous, nous valident ? Ce qui veut dire qu’il y a beaucoup d’amalgames dans le système, d’où l’importance de trouver sa place et de trouver là où on est en harmonie avec le système ou non. Et quand on est en harmonie, on n’est pas obligé de suivre la masse, parce que la tendance est celle-ci ou celle-là.
Faada Freddy, membre du groupe sénégalais Daara J Family,
chanson de l’album School of life sorti en 2010
Je vais répéter la phrase d’Oscar Wilde : « Sois toi-même, parce que tous les autres sont déjà pris. » Si l’on essaie de vivre à la place de quelqu’un d’autre, alors qu’il est déjà lui, on se perd nous et on ne l’aura pas, parce que l’on ne sera jamais l’autre. Donc on reste nous-mêmes et l’on fait du bonheur autour de nous et l’on sera heureux, j’en suis sûr.
NJ : Artistiquement, quelle est ta prochaine étape ?
J’écris souvent sur la route. Le voyage m’inspire. Quand je voyage, je rencontre des gens, je rencontre des vies. Et ces vies me parlent, ces vies m’inspirent. J’ai commencé à écrire le prochain album depuis pas mal de temps. Le morceau : «… oh i’m judging you from the colour of your eyes… ». Ce sera un morceau qui sera sur mon prochain album. Je ne fais pas un album parce que j’ai signé avec une maison de disques et que je dois lui donner un album. Je fais un album parce que j’ai des choses à dire qui me tiennent à cœur, parce que parfois j’ai le blues et j’ai envie de partager ce blues. Parfois, je tombe amoureux et j’ai envie de partager ça. Parfois, j’ai envie de prendre les gens dans mes bras et j’ai envie d’en parler. C’est juste la volonté de partager, en espérant que ce que j’ai vu et raconté aura un impact positif ou fera réfléchir.
NJ : Sur la tournée, d’autres pays sont prévus ?
Oui, il y a les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Calédonie… Cela va continuer un peu avec l’Europe, les USA et l’Afrique. Dans les différents endroits où je vais aller, j’ai l’intention de travailler avec ceux qui sont sur place pour m’enrichir.
Bastien : Je pense justement à ta collaboration avec Cécile Corbel, c’est magnifique…
Oui, elle est magnifique cette femme. Je suis vraiment impressionné. Cela a été un vrai coup de cœur. Je ne connaissais pas bien la harpe, je l’ai découvert par des instruments virtuels, à travers internet. Et voir quelqu’un jouer aussi bien de la harpe et chanter avec une douceur… C’est un apaisement, ça me parle. Je suis fan de Cécile.
NJ : On a vu un stand de l’ONG Village Pilote à ton concert, peux-tu nous en dire quelques mots ?
Au Sénégal, il y a des enfants qui ont des problèmes, des problèmes de famille, des problèmes avec la rue. Ces enfants là ne jouissent pas de la même égalité des chances que les autres. Nous aurions pu être à la place de ces enfants. Donc portons en considération leur souffrance, à ce qu’ils endurent dans la rue. Parce que la rue, elle t’apprend des choses mais la rue prend des vies aussi. La rue prend des vies de manière directe ou indirecte, à travers la drogue, à travers tous les délits, donc tout ce qui est lié à la délinquance. J’ai vu des enfants vraiment au bas du pavé. Et des enfants qui mendient, que l’on appelle les talibés au Sénégal.
J’ai vu aussi des cas où ces enfants sont récupérés, emmenés dans un endroit comme le Village Pilote. Je les ai vu changé, grandir, trouver un emploi et revenir à titre d’exemple pour les autres. Donc c’est possible. C’est possible de sortir les enfants de la rue. C’est possible qu’ils aient une éducation meilleure même si, au départ la pauvreté peut-être le motif, le moteur… Parce qu’il y a des familles, lorsqu’elles n’ont rien, elles laissent leurs enfants livrés à eux-mêmes. Les parents démissionnent ou ils choisissent d’amener des enfants dans des endroits où même si l’enfant est maltraité, le plus important pour eux, est que leurs enfants puissent manger. Il y a des choses à faire, c’est la raison pour laquelle je suis devenu ambassadeur de Village Pilote, pour que ces enfants soient tirés de la rue. Qu’ils aient une vie décente, qu’ils aient surtout la même égalité des chances, qu’ils soient décomplexés, qu’ils aient une éducation comme les autres. Et qu’ils sachent qu’il suffit de rêver grand pour devenir ce que l’on veut.
> Plus d’infos : http://www.villagepilote.org/
Bastien & NJ