Le Hip Hop au cœur de la science

New York_photo Charlotte Prieu

Il est 11 heures dans les rues bruyantes de New York alors que j’attends le collectif Hip Hop Psychology devant la majestueuse entrée du centre du troisième cycle de l’université de la ville de New York (CUNY). A l’arrivée des 4 membres, nous nous dirigeons vers un café du coin pour découvrir le collectif et ses pratiques entre l’art et la recherche scientifique.

Leur idée : utiliser le Hip Hop, mouvement culturel pour les uns, mode de vie pour les autres, comme outil dans le traitement psychologique. Ecriture, danse, musique, concerts, autant d’éléments permettant le bien-être psychologique chez les jeunes et moins jeunes. Rencontrez avec moi, Hip Hop Psychology.

Qui est Hip Hop Psychology (HHP) ?

Debangshu : HHP c’est 4 artistes, Lauren, Kevin, mon frère Debanjan et moi-même. Je suis doctorant en psychologie et fondateur du collectif. Hip Hop Psychology est le résultat d’une idée que j’ai eue en travaillant avec Judy Chicago, artiste féministe. On faisait de l’art en sessions mais ce n’était pas une thérapie au sens propre du terme et souvent, les artistes s’effondraient à la fin. Ayant la psychologie comme matière principale, je me suis dit « tu fais du Hip Hop depuis que tu as 16 ans mais pour le faire dans le cadre de la thérapie, il faut faire les choses dans les règles ». Pour faire de la psychologie par l’art correctement, il faut avoir le meilleur de l’art et le meilleur de la science.

Hip Hop Psychology_logo

J’ai rencontré Kevin, qui est maintenant enseignant en maths pour une classe de 5ème à Houston au Texas. J’ai rencontré Lauren, elle aussi doctorante en Psychologie à CUNY, mais également danseuse et rappeuse. Il y a aussi mon frère Debanjan qui nous a rejoint en 2010, principalement parce que quand j’étais à l’université, il avait 12 ans (rires). C’est le membre le plus récent. Il y a donc 3 rappeurs, une danseuse. Nous voulions que HHP ait une voix, un visage parce notre projet n’a pas une forme traditionnelle. Nous rassemblons les meilleurs éléments de la musique et les meilleurs éléments du monde scientifique et académique.

Lauren : J’étudie la danse Hip Hop comme discours afin de pouvoir comprendre comment elle participe au développement personnel dans un contexte unique. Suite à ma rencontre avec Debangshu, nous avons parlé de nos identités artistiques et de la façon dont elles nous permettent de nous améliorer en tant que personne. Il y a beaucoup de discours en thérapie sur les pathologies mais avec HHP il ne s’agit pas seulement de guérir, c’est aussi quelque chose que l’on vit, le Hip Hop est culturel.

Kevin : En plus d’être enseignant, je suis le coach de la ligue rap de l’école. J’ai commencé avec un groupe d’élèves en 6ème et 5ème. Ils ont créé un crew qui s’appelle « The Force ». Pour la 2ème année de The Force, nous avons inclus l’étude dingue de Debangshu où les élèves sont filmés en train de rapper, en répétition ou en concert. On voit comment le rap influence leur écriture mais aussi leur propre image et la relation qu’ils ont avec leurs familles, la communauté, etc. On voit aussi que nos actions en tant que rappeur, danseur ou graffeur reviennent toujours à la culture Hip Hop dans son ensemble et qu’on la fait tous avancer.

Debanjan : J’étudie la sociologie et je m’intéresse à l’institutionnalisation du Hip Hop, l’essence de cette culture et en quoi le système de valeur a changé depuis sa création et la façon dont il est devenu un outil d’enrichissement économique.

Est-ce que vous collaborez avec des artistes d’autres disciplines ?

Debangshu : la forme du graffiti a changé depuis les débuts mais Kevin, qui est aussi infographiste, utilise des images reprenant l’esthétique du Hip Hop pour nos performances. Musicalement parlant nous travaillons avec Fluidity, un groupe de 3 personnes qui jouent du saxophone, de la batterie, de la guitare, du piano et pratique le deejaying.

Fluidity - photo HHP

Lauren : Pour notre dernier spectacle, nous avons travaillé avec le crew The Original Skillz du Bronx dont le leader est Kevski, un membre originel du Rock Steady Crew et de la Zulu Nation. On veut montrer que le Hip Hop a sa place dans le monde universitaire mais qu’il fait toujours ce travail social au sein de la communauté.

Comment fonctionne le traitement psychologique par le biais du Hip Hop ?

Debangshu : On voit le traitement de manière très différente. On sait que les gens évoluent dans le monde de manière naturelle et au lieu de présupposer de ce qu’ils sont, on se demande pourquoi et comment ils font les choses. On se demande comment le Hip Hop affecte leur développement parce qu’on voit bien qu’ils engagent plus que leur bien-être psychologique. On voit qu’ils s’engagent plus de manière civique et qu’ils s’incluent dans une démarche artistique. En thérapie individuelle, ce ne sont pas ces questions que l’on se pose.

Comment les professionnels de la psychologie vous perçoivent-ils ?

Debangshu : Honnêtement, ils le perçoivent beaucoup mieux que je l’imaginais ! On fait notre travail de la manière la plus éthique que nous pouvons. Nous avons été invités à des conférences très classiques pour présenter notre travail qui ne l’est pas et nous avons été très bien reçus. Nous avons également un livre en cours d’écriture « See you at the Crossroads : the intersection of Hip Hop scholarship” (Retrouvons nous au carrefour : le croisement du Hip Hop académique). Nous avons la chance d’évoluer dans un monde universitaire égalitaire. A partir du moment où l’on fait les choses correctement, il y a une place pour nous.

Lauren : Même si certaines personnes ne sont pas d’accord avec nous, notre méthodologie est irréprochable et les critiques qu’ils feront ne pourront être que constructives, sinon ils ne font pas les choses dans l’éthique.

Est-ce qu’il y a beaucoup d’idées préconçues sur votre travail ? Les personnes qui vous interviewent ont souvent des stéréotypes négatifs sur le Hip Hop, cela vous pose-t-il problème ?

Debangshu : Ce qui est surprenant c’est que c’est le monde du Hip Hop qui a le plus d’idées préconçues sur nous. Il y a un vrai manque de confiance en soi au sein de la communauté et ils ont peur de la perception du grand public donc ils nous renvoient leurs propres peurs. La perception et la réalité sont deux choses différentes et je ne peux pas influer sur la première.

Lauren : L’autre problème que nous avons vient du mot « psychologie » qui est souvent associé à un contexte clinique. Les gens pensent que nous allons les diagnostiquer et veulent tout de suite adopter un langage médical.

Quel est selon vous le problème principal qui ralentit la professionnalisation du Hip Hop au-delà de la sphère artistique ?

Debangshu : Le problème que l’on rencontre c’est qu’il n’y a pas de plateforme centrale pour que les acteurs du Hip Hop se rencontrent. Je suis sûre qu’en France, au Pakistan et ailleurs, il y a des dizaines de milliers de personnes qui travaillent sur le Hip Hop mais il n’y a pas d’espace globalisé pour des rencontres et des échanges.

New York_Charlotte Prieu

Avant de terminer, pouvez-vous nous en dire plus sur le spectacle que vous présentez en ce moment ?

Debanjan : Created Maladjustment (malaise créé) combine l’art et la science : il va y avoir du rap pur et dur, de la danse et de la musique mais aussi de la théorie et des ateliers. Le public aura la possibilité d’interagir avec nous et d’apprendre à créer leur propre discours rap.

Debansghu : On veut repousser les limites de la science et de l’art pour qu’elles se mélangent. On veut montrer que le Hip Hop va de 7 à 77ans !

Quelque chose à ajouter ?

Debangshu : je pense que les américains doivent s’intéresser beaucoup plus au Hip Hop global et à travers le monde, les gens ne doivent pas oublier qu’initialement c’était une culture afro-américaine des quartiers pauvres. Tout le monde se focalise sur New York ou Chicago mais ce qu’il se passe là-bas se passe aussi à Jérusalem, au Caire ou à New Delhi.

Il faut malgré tout se rappeler l’influence du blues noir américain, du jazz et même du rock & roll qui ont donné naissance au Hip Hop…

Lauren : …Et même qui lui ont donné son âme. On voit beaucoup d’art aux inspirations Hip Hop mais il manque souvent une âme, quelque chose de sauvage. On veut que les gens voient l’art qui se dégage mais surtout la philosophie derrière celui-ci.

Charlotte Prieu
(interview & traduction)

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