TAREK (Paris Tonkar)

« Depuis mon enfance, j’ai appris de la vie que le travail, l’honnêteté dans les rapports avec son environnement et la fidélité à ses convictions permettent de réaliser les rêves les plus fous… »

Tarek est un artiste au parcours tellement riche et varié que l’on ne sait par où commencer… Auteur de bande dessinée depuis 1999 et auteur du livre de référence sur le graffiti : Paris Tonkar (paru en 1991). Il pratique la photographie depuis de nombreuses années tout comme la peinture. Il commence très jeune la photo puis avec la découverte du graffiti vers 1985, il capture en images les tags et les graffs. C’est à Londres, en 1986, que Tarek comprend la signification du Graffiti et qu’il se décide à en faire… « Avant, j’avais vu des graffitis du côté de la Petite ceinture sans vraiment savoir ce que cela représentait, ainsi que des tags de Boxer, Bando… Et Blitz ! »

Tarek

 

Au début, lorsque tu t’es mis à taguer, savais-tu que cette pratique était associée à la culture Hip Hop ou cette prise de conscience est venue plus tard ?

Non, je n’avais pas associé le Hip Hop au Tag lorsque j’ai débuté… Pour moi, c’était deux choses différentes et même antagoniques. J’ai smurfé dans les caves de ma cité avec mes amis au début des années 80 mais sans avoir conscience que cela représentait les prémices de ce mouvement en France… Ensuite, la Zulu Nation est apparue dans mon univers. J’ai été en contact avec un gars qui en faisait partie mais sans que cela ne me donne envie d’approfondir la chose. Pour être franc, je me sentais très loin de leur « philosophie »… Je n’éprouvais pas le besoin de m’enfermer dans une autre identité ou une autre culture. Je me sentais bien comme Français et comme Tunisiens. Pour moi, le Tag était avant tout un moyen de faire des choses interdites la nuit… Et le jour ! Tandis que je bossais sur mon livre, la reine Candy m’avait appelé un jour pour me persuader de ne pas le faire car je ne faisais pas partie de la Zulu Nation. Je lui ai gentiment rétorqué que son avis ne m’intéressait pas puis j’ai raccroché !

Quels rapports entretenais-tu avec le mouvement Hip Hop ?

Dans les années 90, je n’entretenais aucun rapport avec ce mouvement puisque le graffiti, pour moi, n’était pas associé au rap et au breakdance. Il ne faut pas oublier que le mouvement Hip Hop a pris de l’ampleur grâce aux graffeurs qui se sont lancés dans la musique comme Assassin, NTM ou MC Solaar. Sans le graffiti, la France ne serait pas un pays où le Hip Hop est aussi présent ! La plupart des gens l’oublient.

Et comment tes rapports au Hip Hop ont évolué aujourd’hui ?

Actuellement, je pense être impliqué dans le mouvement Hip Hop à travers mes articles dans Paris Tonkar magazine, International Hip Hop et Cosmic Hip Hop. Je suis aussi conférencier : je parle de cette période avec une démarche pédagogique, ce qui permet au grand public de mieux appréhender ce mouvement artistique marquant de la fin du XXe siècle. Je filme assez souvent des battle de breakdance : je suis un grand amateur !

Paris Tonkar Magazine

 

Tu as connu les débuts alors quel est ton meilleur souvenir ? Et quel est le moins bon ?

Mon meilleur souvenir est certainement le jour où j’ai rencontré Futura 2000 avec qui je me suis lié d’amitié, un grand monsieur du Graffiti et un artiste de talent. Le moins bon, je pense que c’est mon procès pour Graffiti durant lequel je me suis retrouvé seul…

SES PRATIQUES

Entre ton livre Paris Tonkar et le magazine du même nom, tes bandes dessinées, la réalisation de documentaires, les ateliers et les conférences où tu interviens, la photographie et tes créations dans le domaine du street art, qu’est-ce qui t’anime à t’étendre sur tous ces champs d’actions ?

Le lien entre toutes mes activités est certainement la recherche du « Beau » au sens platonicien… Et je considère que chaque champ artistique que j’explore nourrit les autres. Pourquoi en abandonner un au profit d’un autre ? J’aime cette idée assez étrange que mon travail est comme une promenade dans un labyrinthe que je dois explorer intégralement… Chaque chemin est une discipline. Chaque chemin comporte des voiles que je dois lever pour comprendre le sens caché des choses. Tout n’est qu’illusion dans notre monde… Et je pense que ma démarche me permet de comprendre notre monde.

Peux-tu nous parler de tes différentes activités ?

En bande dessinée, j’ai abordé plusieurs thèmes, mais les deux qui reviennent le plus souvent sont l’injustice et la tolérance. Combattre l’injustice et promouvoir la tolérance sont deux principes qui forment la charpente de mon œuvre écrite. Je prendrais en exemple mes deux derniers albums. La Guerre des Gaules (Vincent Pompetti au dessin) est une adaptation libre du livre de Jules césar où nous avons voulu montrer que la Gaule est une construction intellectuelle de César pour assouvir sa volonté de puissance et que, pour le coup, le discours nationaliste et réactionnaire qui associe cette période de notre histoire à la France d’aujourd’hui est un non sens historique : la Gaule romanisée est plus proche de nous que la Gaule celtique.

Avec le Concierge (Seb Cazes au dessin), j’ai raconté l’histoire d’une campagne électorale entre deux frères, l’un est communiste, ancien flic ivrogne et résistant, l’autre Maire et représentant du grand capital. C’est une BD qui montre l’absurdité de la lutte pour le pouvoir et l’injustice comme arme de domination des classes populaires.

LE CONCIERGE couv

 

Le documentaire était consacré à une de mes BD sur les tirailleurs venus des colonies en 1914 pour se battre contre les Allemands : j’ai travaillé dessus avec Hélios qui possède un regard intéressant sur l’image. Il réalise également la maquette de notre magazine.

La peinture est certainement la pratique la plus personnelle… Je peins depuis 26 ans déjà ! Je matérialise les images mentales qui traversent mon esprit depuis bien longtemps. Je pense être arrivé à quelque chose de présentable au public. Depuis quatre ans, je me suis mis à re-montrer mon travail et mes œuvres connaissent un réel succès populaire et plaisent à un public très divers. Je pense que la sincérité de ma démarche, la chaleur que mes peintures dégagent et l’âme qui s’y trouve ont permis de créer ce lien quasi mystique entre mes peintures et les personnes qui prennent le temps de découvrir mon travail. La galerie Philippe Gelot (rue Saint-Paul dans le IVe) m’a permis de me dépasser et une partie de mes œuvres, dont les sculptures, y sont en dépôt permanent.

tarek

 

Et mes collages dans la rue sont nés de l’envie de redonner de la couleur à la grisaille des rues et des murs de nos villes… Et de nos campagnes !

Peux-tu nous expliquer le concept de tes projets « Girls in the city » et « Men at work » et le lien et/ou la différence que tu as voulu marquer entre ces deux types de personnages ?

Men at work - Tarek

Je pense que cela a commencé avec ma collaboration avec Gregos : j’ai peint l’un de ses visages qu’il a ensuite collé… Puis un second… L’excitation de les voir dans la rue était forte ! J’avais depuis longtemps l’envie de décliner un concept sur « l’humain transformé en robot dans notre monde moderne ». Je suis tombé sur ces personnages et j’ai eu le déclic : ce sera « Men at Work » car l’homme est un animal qui travaille ; 111 car j’en collerai 111 (c’est également un nombre qui a une valeur mystique). Et « Girls in the city » en référence à la série sur HBO mais aussi en opposition à l’homme qui travaille et la femme qui se meut dans la ville pour passer le temps. Dans la réalité, les femmes travaillent aussi mais le jeu de mot me plaisait… C’est ajouté à cela des Skulls, des M… Des collages d’affiches divers et variés ! Je m’amuse avant tout avec ces collages et je ne les lie pas à ma pratique sur toile même si parfois je crée des correspondances entre mon travail pictural en atelier et dans la cité. L’idée de l’éphémère m’attire aussi…

SES VOYAGES

Tu as beaucoup voyagé, tu as vécu à l’étranger… Comment perçois-tu l’impact du graffiti dans le monde arabe par exemple ? L’acte en lui-même est puissant par son engagement et le risque encouru pour les messages politiques alors que dans les pays occidentaux le graffiti/le street art se démocratise de plus en plus et devient même « à la mode ». Que penses-tu de tout cela ? Et surtout de cet écart ?

Le graffiti a toujours existé dans le monde arabe mais depuis les « révolutions » il a pris une forme plus artistique et plus politique dans certains pays comme la Tunisie et l’Egypte. A partir de la Place Tahrir, la révolution égyptienne s’est propagé également sur les murs de la ville qui, du temps de Hosni Moubarak, tolérait très peu les graffitis, mis à part ceux des fans des clubs de football et les slogans bien sentis des sbires de son parti… Au Maroc, il y a du graffiti mais pas de messages politiques, en Libye c’est « du cinéma » et en Syrie, ce sont des slogans politiques même avant la guerre. Au Liban, dans le quartier de l’université américaine de Beyrouth, on trouve des collages, des pochoirs et des graffs comme en France… Dans d’autres quartiers, les murs sont plus politisés et encadrés par les partis.

Quant aux risques d’écrire sur les murs dans les pays arabes, il est réel car les gens ne sont pas dans le même état d’esprit qu’en Europe : l’espace public est envisagé d’une manière différente et le rapport aux images aussi. En Tunisie, le procès des graffeurs de Gabès (Zwewla) montre que la liberté n’est pas totale et que le graffiti n’est pas toléré parce que l’on chasse les dictateurs : c’est les mentalités qu’il faut changer ! En France, le problème est tout autre car le marché de l’art s’intéresse à ce milieu depuis les années 90.

by Tarek

Actuellement, en France, sommes-nous en train de perdre ou de voir disparaître l’authenticité de cet art ?

Je ne pense pas… Il y a toujours des vandales, des graffeurs du dimanche, des graffeurs occasionnels, des tagueurs acharnés, des colleurs d’un jour, des artistes de rue motivés à tout recouvrir… Et des artistes urbains qui exposent en galerie ! La seule différence est dans la perception du public : les gens acceptent de plus en plus cet art et le monde de l’art investit plus qu’avant sur ces artistes. C’est plus dans le dosage que les choses ont pris une nouvelle tournure. Cette perte de l’authenticité est une vue de l’esprit car le graffiti est une émanation de la société la plus capitaliste et la plus individualiste au monde.

Dès le départ, il y avait les germes de la récupération par le monde de l’art et du « art business »… Les premiers à exposer en galerie sont les New Yorkais à un moment où le graffiti n’était pas encore présent en France. Pour le coup, l’histoire était écrite à l’avance… En France, l’argent est apparu au début des années 90, modifiant le rapport de certains jeunes à cette pratique illégale et transgressive. Cela n’a fait que s’accroître avec les années mais c’est la même chose dans le sport ou le monde du travail. La financiarisation de la société touche tout le monde d’une manière ou d’une autre.

People

Est-ce qu’il y a un pays qui t’a marqué plus qu’un autre artistiquement ?

Un pays, non. Des villes, certainement ! Tunis et Damas, pour le raffinement, la lumière et le secret. Londres, pour le graffiti et la possibilité de dépasser toutes les limites. Le pragmatisme anglo-saxon dans l’art me touche aussi. Paris, c’est le Louvre et la ligne 13. L’Andalousie pour la lumière et Rome pour « le Beau »… Cependant, ce sont les femmes et les hommes que j’ai croisé qui ont forgé une partie de mon imaginaire et de mes choix artistiques.

SA VISION / SON ETAT D’ESPRIT

Es-tu partisan du « C’était mieux avant » dans le graffiti, la mentalité, etc. ?

Non, pas du tout ! Je ne suis pas un nostalgique, je suis un homme en mouvement qui s’enrichit de l’expérience mais qui ne regarde pas en arrière pour essayer de se convaincre que le monde était mieux avant. Ce discours existe souvent et il ne me touche pas. J’ai croisé de nombreuses personnes qui me replongent dans notre passé avec passion, cela m’intéresse comme auteur et historien, mais je ne me sens pas le besoin de verser dans ce registre car il faut vivre dans son temps. Le milieu du graffiti vit une crise de maturation et c’est logique d’entendre certains tenir ces propos. Ont-ils raison ? Je n’ai pas de réponse.

Comment perçois-tu les nouvelles générations ? Qu’est-ce que tu apprécies et qu’est-ce que tu apprécies moins chez elles ?

Le niveau est excellent ! Leur état d’esprit est globalement positif et ils en veulent… Mon seul reproche : ils oublient parfois que durant la période 1984-1994, le graffiti en France a été créé par des jeunes qui le pratiquaient pour le plaisir et qu’ils ont réalisé presque toutes les choses possibles. A part le Cellograff qui a été créé récemment par Kanos et Astro…

CelloGraff par Astro et Kanos
CelloGraff par Astro et Kanos

PROCHAINEMENT

Quels sont tes projets en cours et à venir ?

 Le numéro 7 de Paris Tonkar magazine est sorti avec un beau portrait de Nasty. Je suis en train d’écrire le second tome de la Guerre des Gaules chez Tartamudo éditions et un scénario de court-métrage, le long-métrage est en préparation aussi. Le Concierge chez Le Moule à gaufres éditions est sorti récemment ainsi qu’un nouveau Cosmic Hip Hop.

Je vais participer à des expositions collectives en France et en République Tchèque, des ventes aux enchères au bénéfice d’associations œuvrant dans le domaine de l’enfance… Et bien d’autres projets autour de la peinture ! Je vais également être dans deux livres qui vont sortir cette année : l’un sur le Périph chez H’Artpon édition et l’autre sur le street art chez Flammarion. En fin d’année, l’édition Paris Tonkar 20e anniversaire sera enfin disponible (22 ans en fait)… La Guerre des Gaules sortira aux Etats-Unis et certainement en Angleterre d’ici quelques mois.

Un échange très enrichissant ! Hip Open lui souhaite une belle réussite dans ses futurs projets…

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>> Plus d’infos sur :

http://www.paristonkar.com
http://www.tarek-bd.fr
http://www.flickr.com/photos/paristonkar/
http://vimeo.com/paristonkar
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http://twitter.com/#!/ParisTonkar
http://paristonkar.tumblr.com/
http://paristonkar.wordpress.com/
http://www.scribd.com/Tarekscenariste

NJ

 

 

 

 

 

 

6 réflexions au sujet de « TAREK (Paris Tonkar) »

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  2. David

    Ca me fait drôle de lire les noms de tagueurs et graffeurs qui étaient des références quand j’étais plus jeune. Je me souvenais du Bando, mais j’avais oublié Boxer.
    Merci pour ce petit rappel !!!

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