L’année 2013 restera symbolique pour la communauté Hip Hop du monde entier, en célébrant le 40ème anniversaire de cette culture, qui a vu le jour dans le quartier du Bronx, New York. Considérée au départ comme un phénomène de mode qui ne durerait pas… Avec une créativité sans précédent, un talent hors du commun et une énergie débordante, le Mouvement a su persister, résister pour encore aujourd’hui exister.
Un peu d’histoire
La culture Hip Hop est donc née en 1973 avec Kool Herc. Influencé par les sound systems de la Jamaïque, où il a grandi, et passionné par la musique, en arrivant à New York, sa destinée l’attendait… Un jour, pour se faire de l’argent de poche, Cindy Campbell décida d’organiser une soirée avec son grand frère Clive comme deejay. Clive Campbell, que l’on appelait aussi Hercules ou Kool Herc… Ainsi, le succès de cette première block-party a initié l’histoire du Hip Hop.
Les années 60 et 70 aux Etats-Unis sont marquées par les revendications des droits civiques, notamment avec les Black Panthers. C’est aussi l’époque où les gangs se font la guerre. La détresse sociale et le chaos règnent dans le Bronx. Un événement va pourtant changer la donne… Black Benjy, appartenant au gang des Ghetto Brothers, se fait assassiner en partant demander la paix. Une réunion de trêve est alors organisée, où les gangs noirs et latinos du Bronx ont répondu présents.
Conclusion : en l’honneur de Black Benjy mort pour la paix, il ne sera pas vengé, même si tous savent que l’auteur du crime était Julio du gang des Seven Immortals. A présent, leurs préoccupations étaient une forme différente de justice de la rue : instaurer la paix et améliorer les conditions de vie des Noirs et des Portoricains, en passant de gangs à une organisation. L’Organisation est ensuite devenue la Zulu Nation, à l’initiative d’un jeune membre des Black Spades, Afrika Bambaataa. Il a rassemblé le Deeajying, le MCing, le Bboying et le Graffiti, en y ajoutant la connaissance pour en faire une même unité de sens et par la même occasion, donner vie au Hip Hop.
L’arrivée en France
Une décennie plus tard, le Hip Hop arrive en France. Afrika Bambaataa propage le message en Europe, notamment à Paris, grâce à la tournée New York City Rap Tour, à laquelle il participe, avec notamment le Rock Steady Crew. Sydney anime les ondes de Radio 7 et y invite Afrika Bambaattaa. On retrouve aussi cet animateur dans l’émission culte H.I.P H.O.P (1984) sur TF1, qui contribuera à faire connaître le Hip Hop dans la France entière.
Un an plus tard, sur le terrain vague de la Chapelle (18ème arrondissement de Paris), Dee Nasty organise les premières block-parties. Il mixera aussi dans l’émission Deenastyle sur radio Nova, qui verra passer un grand nombre de rappeurs de l’époque.
A paris, comme à New York, lors des block-parties, le deejay détenait la place centrale, le maître de cérémonie apportait seulement une touche supplémentaire au micro pour ambiancer le terrain ou la salle.
Et maintenant ?
Aujourd’hui, la culture Hip Hop est présente partout, dans le monde entier, les différents milieux sociaux, les diverses générations…elle est connue de tous. Sans pour autant toujours être appréciée ou acceptée, même si elle semble le devenir davantage…
Identifiée au départ comme une contre-culture, à en juger les chiffres actuels, la culture Hip Hop paraît bien plus comme une culture de masse. L’exemple de chacun des albums d’Eminem qui se compte en plusieurs millions d’exemplaires vendus en est révélateur, ainsi que les ventes aux enchères de peintures réalisées par des artistes issus du Graffiti, sans oublier les représentations de danse dans les théâtres les plus prestigieux par des artistes issus du Bboying…
Hors norme : côté Graffiti
Au niveau des disciplines qui constituent la culture Hip Hop, depuis les années 90, le Rap et la danse ont été bien plus au devant de la scène et connus du grand public. Le DJ reste dans l’ombre du MC ou du Bboy, quant au graffeur, il n’a aucun intérêt à se montrer, en raison de l’exercice de sa pratique illégale, si ce n’est rendre visible son nom au maximum. En effet, inscrire son nom partout, sans autorisation, à ses risques et périls, pour revendiquer son existence, bien loin des médias, ainsi est l’essence du Graffiti.
http://www.ina.fr/video/CAB90016065
Maintenant, cet art de rue semble prendre une toute autre tournure dans l’inconscient collectif, à travers l’expression « street art ». Une distinction doit être faîte avec ce terme galvaudé et fourre-tout…
Que représente réellement le « street art » ? Par définition, il renvoie à la création dans la rue. Il s’articule sous différentes formes d’art : le Graffiti, le pochoir, le collage, les installations, etc. Et pourtant aujourd’hui, il sonne davantage comme une appellation business généralisée, sans y conserver son sens d’origine. Les galeries organisent des expositions de « street art », dans lesquelles on trouve des toiles de peinture réalisées à la bombe aérosol… Quelques peu étonnant et peu compréhensible au départ… Et lorsqu’il s’agit de vendre ou de communiquer sur un artiste, ils préfèrent employer « street artiste » plutôt qu’artiste peintre ou graffeur. Comme si ce terme ne faisait que subir une réappropriation par un monde auquel il n’appartient pas, qui l’utilise pour surfer sur la tendance et en récolter ses fruits…
Le cas de la Tour Paris 13
Qui n’a pas entendu parler de cette fameuse Tour du 13ème arrondissement investie par une centaine de « street artistes » ? Avec un impact médiatique aussi conséquent, peu de personnes ont dû échapper à l’info à Paris… Dans la France entière et même à l’étranger, les médias ont relayé cet happening organisé par la galerie Itinerrance. Elsa Courtois, en charge des relations presse, nous a fait partager son étonnement : « On ne s’attendait pas à un tel engouement ! ».
En 30 jours, des milliers de personnes sont venues visiter cette tour de 9 étages. Certains n’ont pas hésiter à passer la nuit dehors pour être les premiers dans la file d’attente pour l’ouverture de la tour aux visites à 10h : « nous sommes arrivés à 2h du matin, nous voulions être les premiers pour être sûr de pouvoir y entrer » explique un visiteur. Quant à d’autres, ils ont dû attendre plus de six heures pour atteindre la porte d’entrée.
Pourquoi donc autant d’intérêt, si soudain, pour le travail de graffeurs ? En interrogeant quelques visiteurs, aucune réponse n’a été rationnelle, aucune raison intrinsèque pour justifier leur venue. Si ce n’est la détermination à faire partie de ceux qui auront vu, qui seront passés dans les pièces de cette immeuble recouvert de peinture, avec diverses installations réalisées par des grands noms français et étrangers du Graffiti.
Cet enthousiasme pour une telle tour peut paraître sidérante… Une multitude de bâtiments anciens, laissés à l’abandon sont graffés, où l’on peut trouver des œuvres impressionnantes. Seulement, dans ce cas, les graffeurs restent dans l’anonymat du grand public, des canaux médiatiques et ne captent l’attention que de ceux qui veulent bien s’y intéresser et bien les considérer, donc les connaisseurs, les adeptes et les passionnés en grande majorité. Chaque année, des murs et des murs sont peints sur l’ensemble de la capitale et les gens passent devant sans y prêter une grande attention. Mais pour la Tour 13, ce fut la cohue !
La disparition de 5Pointz
En novembre 2013, du côté des Etats-Unis, l’édifice qui représente la culture Hip Hop et le Graffiti par excellence à New York n’est plus…
http://www.youtube.com/watch?v=sIHr9JYRHqU
5Pointz, le temple du Graffiti, un lieu si symbolique a été effacé : les murs ont été recouverts en blanc… Et pourtant, des pétitions, des manifestations ont été organisées pour sauver ce monument, qui s’est éteint malheureusement devant nos yeux, au lieu d’être classé dans le patrimoine culturel de New York… Triste défaite pour le Hip Hop, telle une page de notre culture qui s’efface, encore plus, un livre entier qui redevient blanc… Cette injustice vue par la communauté Hip Hop n’est rien pour les investisseurs qui vont en faire des appartements de luxe.
Que faut-il en déduire ?
Ces deux derniers exemples sont assez déroutants… Ils font écho à une problématique plus globale sur ce qu’est devenue la culture Hip Hop et bien sûr, à son devenir.
Doit-on se réjouir de son tournant ? Le contester ? Ou constater que le Hip Hop « c’était mieux avant » ? Ou encore lâcher prise et se dire que « le Hip Hop est mort » ?
Bien qu’il semblerait que l’aspect léger, frivole, bling-bling prenne le dessus sur l’authenticité, la portée des messages et la transmission… Est-ce un effet irréversible de l’évolution de la société ? Peut-on encore apporter la connaissance nécessaire au jeune public pour les orienter dans la bonne direction ? Ou est-ce trop tard ?
Quoi qu’il en soit, les artistes et les activistes ont un rôle à jouer et détiennent une grande part de responsabilité. Pour faire briller la culture Hip Hop, il faut déjà la respecter et la faire respecter aux yeux de tous, afin d’éviter qu’elle soit embourbée, détenue, voire même prisonnière entre les mains de détracteurs, profiteurs et autres abuseurs… L’éthique, l’image et le discours de ceux qui ont la capacité d’en être des porte-parole est très importante !
Comme dans toute chose, il s’agit d’un discernement à effectuer et être vigilant sur les susceptibles dérives. Bien sûr, pour ceux qui restent dans l’optique de l’essence même du Hip Hop. Ainsi, un travail sur la connaissance, la transmission est fondamental pour une telle culture de l’oral, à l’art brut. Même si, certains tendent à la déformer par des règles bien plus strictes et à la rendre plus lisse.
Les questions sont posées, à chacun sa propre interprétation, pour poursuivre encore plus loin la réflexion.
>> Sources
Livre : « Can’t Stop Won’t Stop », Jeff Chang
Liens web :
http://biblio.recherche-action.fr/document.php?id=503`
NJ